Et alors, c’était quoi ce voyage?

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17 décembre 2016, Warden, Québec, Canada

Depuis quelques jours, je relis, page après page, jour après jour, ce carnet de voyage que j’ai tenu cet été en Europe. Ailleurs. Depuis notre retour, je me sens si souvent étrangère dans mon propre corps. Une partie de moi ne semble plus m’appartenir. Elle vogue quelque part entre ici et là-bas. Je ne suis pas assez ample pour embrasser toutes ces découvertes, tout ce que cette aventure m’aura transmis. Je déborde de tous côtés. J’essaie de me rassembler, de me contenir. Je n’y arrive pas.

Aujourd’hui, le ciel est blanc, gris, immense. Les arbres sont décharnés. Et dans ce dépouillement, la neige tombe, flottante, suspendue entre ciel et terre, un rideau de perles blanches s’étirant entre ici et plus haut. Lentement.

17 avril au 22 juillet 2016, voyage à vélo en Europe

Et alors, c’était quoi ce voyage? Qu’est-ce que c’était que ce périple en tandem mère-fils devant nous mener de Paris à Istanbul?

Ce voyage nous aura fourni, en abondance, du temps suspendu, étiré et d’une telle densité. Du temps arraché au quotidien, à la frénésie de nos petites vies saturées d’envies, à cette accélération, cette poussée fulgurante vers l’avant. Du temps se déployant lentement au fil des coups de pédales. Du temps plein à craquer de paysages, de cultures, de rencontres. Du temps vibrant d’humanité. Du temps vivant, palpitant, virevoltant. Le corps exposé à tous les vents; les muscles sollicités, endoloris, bénis; les sens en éveil et le cœur en émoi. Du temps pour aller à la découverte de soi et des autres, pour apprendre à vivre et voyager. Du temps ensemble à créer, en parallèle au voyage réel, une odyssée imaginaire.

Ce voyage nous aura dessiné une longue traversée de près de 4000 km entre 2 points géographiques, Paris et Port Cetate en Roumanie. Nous aurons foulé le sol de 9 pays, suivi 3 fleuves principaux, pédalé dans de vastes plaines et grimpé monts et collines. Mais c’est dans notre paysage intérieur que nous aurons ressenti le plus de variations. C’est notre propre chemin personnel que nous aurons arpenté, ensemble et chacun de son côté.

Ce voyage nous aura raconté nos possibilités. Nous aurons effleuré nos peurs, puisé à même un courage insoupçonné, entrouvert des portes, laissé de côté nos à priori, élargi nos esprits, exploré de nouvelles façons d’être, tendu nos cœurs et nos mains, offert nos paroles hésitantes et des histoires par-delà le temps, souri de tout ce que nous devenions, gambadé avec nos plus folles pensées. Ni exploit sportif ni voyage touristique. Davantage une aventure humaine: une équipe mère-fils; des rencontres par dizaines, quelques-unes très brèves, le temps d’un sourire ou d’un signe d’encouragement, et d’autres s’échelonnant sur 2-3-4 jours; une plongée dans nos méandres intérieurs; un aperçu de l’art de vivre et de l’histoire de ces humains qui, comme nous, essaient tant bien que mal de vivre en ce début de 21e siècle.

Ce n’est pas un secret. Ce voyage aura été l’écrin de dizaines et dizaines de perles luminescentes. Ces perles, ce sont tous ces moments d’échange avec les autres, si différents et si semblables. Voilà notre trésor, recueilli kilomètre après kilomètre, dans l’instant, et que nous chérirons longtemps.

Merci à tous ces gens qui ont croisé notre route, qui nous ont accueillis et qui nous ont permis de donner un peu de nous.

Je ne suis pas riche des choses que j’ai ramassées mais de celles que j’ai données.

proverbe tsigane

ces fils qui nous relient

Les fils qui nous relient et nous construisent se tissent au hasard des rencontres.

Ils forment la trame de notre vie.

Parfois colorés, soyeux, denses.

Parfois si ténus, si fragiles.

Les fils chantent, dansent, vibrent dans l’air du temps.

Ils dessinent des arabesques, rêvent de mille parcours, s’enjolivent de précieuses perles.

Tangibles et pourtant irréels.

Vrais mais puissamment oniriques.

Les fils se nouent, se dénouent, se combinent.

Ils soufflent en nous et nous tricotent de grandes ailes.

Ils nous lient et nous délient au creux de nous-mêmes, vers les autres, vers ailleurs.

 

quand le paradis…

…se transforme en cauchemar.

Imaginez quelques bâtiments blancs égrenés entre un fleuve majestueux et une lisière de forêt, des sculptures contemporaines d’anges parsemant la pelouse, des chambres à l’allure zen, une cuisine locale goûteuse. Cette halte touristique, esthétique et gourmande existe. Elle a été rêvée par un poète, Mircea Dinescu. Depuis quelques années, les anciens bâtiments de ce port marchand agricole ont été restaurés et accueillent touristes et congressistes, de même que des écrivains et des artistes en résidence. À Port Cultural Cetate, différents événements culturels ont lieu en lien avec la littérature mais aussi le théâtre, la musique, la photographie, le cinéma, les arts visuels et les traditions culinaires. Un petit éden dans cette région de la Roumanie où les villages poussiéreux aux maisons décaties défilent les uns après les autres. Un petit coin de paradis où nous pourrions enfin un peu souffler, inhaler un peu de toute cette beauté.

Et pourtant. Et pourtant, même dans cet écrin de beauté, un danger latent peut se concrétiser. Et tout faire basculer.

Imaginez donc aussi des dizaines de chiens errants ayant élu domicile tout autour des bâtiments. Jappant, grognant et se mettant parfois à vous suivre. En groupe.

Ce soir-là, nous allions célébrer nos 3 mois de voyage. Le soleil colorait les eaux du Danube. Le vent venait de tomber. Nous étions fiers des montées des derniers jours. Et nous nous sentions apaisés dans ce lieu charmant. Au réfectoire, j’attendais que l’on nous serve le repas. Étienne venait de repartir vers notre chambre située dans la maisonnette la plus loin. Et puis, j’ai entendu des cris, mêlés aux aboiements des chiens. Étienne a déboulé dans le réfectoire, pleurant, sous le choc. Des adultes qui mangeaient sur la terrasse et qui ont assisté, impuissants, à l’attaque des chiens l’accompagnaient. Étienne s’est fait encercler par 4-5 chiens enragés et l’un d’eux l’a mordu au mollet. Il s’en est sorti avec des marques de crocs sur la jambe assorties de belles ecchymoses. Et une énorme frousse. Seulement voilà : des chiens comme ceux-ci ça pullule en Roumanie. Le lendemain matin à l’hôpital de Craiova, il était le 3e enfant à se présenter après avoir été attaqué par des chiens. Cette engeance est de notoriété publique. La menace est là, bien réelle, mais les autorités ne s’en occupent pas. Habituellement quand les chiens attaquent en groupe, dès qu’un des leurs mord la personne, les autres se précipitent et l’imitent. Cette fois-ci, Étienne a été chanceux.

Cette nuit-là, j’ai pris une décision. Nous allions revenir à la maison. Écourter le voyage. Notre destination finale, la Turquie, est instable par les temps qui courent. En Roumanie et en Bulgarie, la menace des chiens errants jumelée à un parcours sur des routes avec un trafic dense et des conducteurs peu habitués à partager la voie avec des cyclistes multiplie les risques que je ne suis plus prête à prendre. Des risques auxquels je ne veux plus exposer mon fils de 12 ans. Combien de fois ai-je réitéré que la sécurité était notre priorité ? Combien de fois avons-nous frôlé l’accident ? La vigilance accrue et ininterrompue, le stress qui inonde tout notre corps sans que l’on ne s’en rende compte, la chaleur qui nous écrase : depuis plus de 2 semaines, nous sommes exténués. Cette aventure, je l’ai, en quelque sorte, imposé à Étienne. Pourtant, jour après jour, il est monté sur le vélo, il a pédalé, il a dû s’adapter à de nouveaux environnements, rencontrer des inconnus et jamais il ne rechignait. Il m’a épaulée, m’a encouragée dans des moments difficiles. Il était enjoué, fier de ce que nous accomplissions. Jusqu’à tout récemment. La suite du voyage, nous la questionnions au quotidien ces derniers temps. Beaucoup de bas. Toutefois, nous retrouvions assez rapidement le moral.

Nous revenons donc, un peu plus d’un mois avant la fin prévue. Étienne est soulagé. Mais moi ? Chamboulée et calme à la fois. Je n’ai pas su, en dépit du contexte, réinventer une nouvelle fois le voyage. Nous venions tout juste de changer notre plan initial en entrant en Roumanie. Nous allions passer davantage de temps dans ce pays puisque nous abandonnions l’idée de traverser les chaînes montagneuses de la Bulgarie et celle de rouler en Turquie. Mais, insidieusement, l’engouement s’étiolait. La fatigue et le stress ont pris toute la place. Au point de bloquer l’horizon. Notre route a cessé de se dérouler sous nos roues.

Peut-être que depuis le tout début du voyage, nous roulions progressivement vers ce cul-de-sac. Qui, espérons-le, n’est que le point de départ vers un ailleurs autre, un chemin de traverse à créer, une nouvelle orbite sur laquelle se déplacer.

Et si le voyage, ce n’est pas la destination. Et si le voyage, c’est le chemin. Alors, au fil de ces 3900 kilomètres et des poussières, tout un chemin s’est dessiné en nous. Il nous reste à en écouter l’écho.

Quelques dernières photos de Serbie et de Roumanie :

rouler dans les ornières…

… ou tracer son propre chemin.

Pour la grande majorité de notre périple, nous avions décidé d’emprunter une route cyclable longeant fleuves et canaux et traversant une dizaine de pays européens. Quelqu’un, quelque part, en avait tracé l’itinéraire, rêvant d’une voie cyclable reliant l’Atlantique à la mer Noire, imaginant une Europe grandiose réunie par ce fil ténu. Nous allions rouler sur les traces laissées par des milliers d’autres cyclistes. Une première pour nous qui avons l’habitude de planifier nous-mêmes notre itinéraire en sélectionnant les petites routes et les endroits que nous traverserons. Pendant des semaines, nous avons pédalé en suivant les indications sur les cartes ou sur les panneaux routiers, faisant fi des détours et des voies peu adaptées au voyage à vélo, sur cette route imaginée par des instances politiques ne connaissant rien à l’art de se déplacer à bicyclette. Empruntant, ou croyant emprunter, le même chemin que tous les autres. Et puis, à force de rouler sur des sentes caillouteuses ou sablonneuses, sur des digues herbeuses, sur des routes cabossées, achalandées, sans accotement et avec des ornières profondes façonnées par le passage des camions, à force de faire des détours, de déboucher sur des culs-de-sac ou des escaliers et de s’égarer en cherchant des indications qui n’existent pas, nous avons commencé à prendre nos distances avec cette eurovélo 6 qui ne nous convenait pas, à rouler sur d’autres petites routes. Nous reprenons le contrôle sur notre chemin, nous modifions notre trajectoire. Mais cela ne s’avère pas toujours possible, notamment en raison du relief. Tout récemment, en 2 jours, nous avons dû emprunter 20 tunnels, non éclairés, allant de 60 m à 371 m. Consciente du danger, prise de frayeur à l’idée de glisser, de tomber, de croiser un autre véhicule ou d’être percutés par derrière, je sentais le sol se dérober sous moi. Mais Étienne était là, pour nous deux; il nous encourageait. Le temps était gris, pluvieux. Toutefois, après le dernier tunnel et une longue montée, le soleil est revenu. Il nous a souri; nous étions soulagés et plus légers. Lors d’une de ces mêmes journées, la route balisée nous faisait emprunter un sentier rocailleux interrompu en 2 endroits par un ruisseau. Seulement, toute la nuit précédente il y avait eu des orages et le ruisseau était gonflé, l’eau m’arrivait à mi-cuisse et le courant était trop fort. Après avoir tenté de transporter une sacoche de l’autre côté, nous avons rebroussé chemin. Métaphores de notre périple ? Entre voies interrompues, détours, perte des repères, passages à vide, notre route a croisé celle d’autres cyclistes. Des rencontres qui nous ont nourris, qui nous ont donné une petite poussée pour poursuivre et tracer notre propre chemin. Tout au long de cette aventure, nous nous sommes aussi rencontrés : fragiles et forts à la fois, déboussolés et confiants, légers et tendus. La plupart du temps complémentaires et en synchronicité. Notre trajectoire nous porte maintenant ailleurs. Sur une autre orbite.

 

un peu plus que le réel

Le temps passe, dans le ciel clair et étouffant de l’Europe de l’Est, à naviguer entre réalité et surréalisme. Nous avançons peu à peu, à la fois ici et ailleurs. Parfois parfaitement ancrés dans le cadre qui nous entoure, souvent déboussolés.

Les trois premiers campings où nous avons séjourné ont peut-être façonné notre perception de cette ancienne aire socialiste. À Bratislava, le camping, près de l’aéroport, nous accueillait avec un panneau indiquant une dizaine de précautions à prendre contre le vol. Celles-ci nous ont été réitérées par la préposée. Nos vélos ont été entreposés dans un bâtiment verrouillé. Ouf ! Mais il fallait ouvrir et refermer avec une clé un grillage donnant accès aux toilettes et aux douches plutôt spartiates. En Europe de l’Est, les douches sont communes ou, la plupart du temps, sans cabine. On expose sa nudité comme on devait, à une époque pas si lointaine, révéler tout de soi. Au 2e camping, en Hongrie, il n’y avait personne d’autre que nous, à part des centaines et des centaines de moustiques affamés qui ont même décidé de passer la nuit entre la tente et le double toit. Le sol des toilettes et des douches était jonché de mégots de cigarettes. Le préposé pulvérisait de l’herbicide entre les dalles de ciment dans l’allée. Pas étonnant qu’il n’y ait que nous, pauvres cyclistes égarés ! Au 3e camping, nous sommes arrivés en pleine réunion d’entraîneurs de chiens. Au fur et à mesure que la journée avançait, nous avons vu de plus en plus de maîtres, ou maîtresses, et leur chien s’installer. En soirée, il devait bien y avoir une trentaine de chiens qui n’ont pas arrêté de japper. Question quiétude, nous étions loin du compte. D’autant plus que le camping était situé juste à coté d’un endroit où l’on sciait du bois et qu’en début de soirée, un petit aéronef s’amusait à passer et repasser au-dessus de la cîme des arbres. En ajoutant la canicule qui venait de s’abattre sur la région au même moment, les indications de plus en plus rares pour l’eurovélo 6, les routes achalandées en très mauvais état avec un trafic motorisé plus ou moins enclin à partager celles-ci avec des vélos, en 3 jours nous venions de basculer dans une toute autre réalité.

Notre réalité, c’est maintenant un peu plus de lenteur. Nous avons diminué la cadence, réduit la distance quotidienne parcourue, ajouté de longues pauses à l’heure du lunch au moment où le soleil tape fort.

Notre réalité, c’est aussi un peu plus d’incompréhension. Qui a décidé que l’itinéraire de cette soi-disante route cyclable emprunterait des voies sans accotement et à forte densité automobile ? Que reste-t-il de toutes ces années communistes ? Quel est le legs des empires ottoman et austro-hongrois ? En Croatie et en Serbie, qu’est-ce que la guerre a laissé comme séquelles ? Comment accueillir les témoignages de nos hôtes ? Que dire ? Comment se taire ?

Notre réalité,  c’est aussi un peu plus de confusion. Questionnements plus fréquents à savoir quel chemin prendre, égarements sur la route, perte des repères culturels, fatigue due au stress de rouler parmi tous ces véhicules qui ralentissent peu ou prou et qui passent parfois trop près de nous. C’est ne plus savoir si l’on peut se fier à notre intuition, à ce que l’on ressent. Car alors que nous commencions à comprendre comment circuler sur la route et que nous venions de vivre une merveilleuse journée avec plein de contacts chaleureux, nous nous sommes rendus compte que notre dernier hôte nous avait délestés de quelques billets. (Un peu plus de cent dollars canadiens, pas grand chose) Ni colère ni tristesse. Seulement le sol de notre confiance qui se dérobe sous nous.

Notre réalité, c’est, heureusement, un peu plus de contacts spontanés. Des gens qui nous encouragent et nous saluent. Qui viennent nous parler, souvent en allemand  (sommaire pour notre part), pour savoir d’où l’on vient et où l’on va. C’est cet homme à Fajsz qui fait des téléphones pour nous trouver un moyen de traverser le Danube et rejoindre le camping sur l’autre rive. C’est ce jeune, tout sourire, qui nous conduit à travers le village sur ses patins à roulettes jusqu’à la petite épicerie. C’est cet homme qui nous double par deux fois et qui, à la seconde, se range sur le bas côté,  sort de son auto et tend une barre Snickers à Étienne. C’est cet homme qui nous prend en photo au centre de la ville de Futog puis nous invite à boire une boisson gazeuse dans son petit resto de bouffe rapide. Et tout plein de regards, des sourires discrets dans leurs yeux.

Notre réalité, c’est tout ce temps que nous prenons ensemble, Étienne et moi, à naviguer dans nos imaginaires respectifs en blaguant, en nous racontant une histoire à relais qui dure depuis plus d’un mois (petit clin d’oeil à Stéphane et à Éloi : vous en faites partie et quelle délectation ! Sébastien, tu viens d’apparaître en bédouin il y a 2 jours !) et en inventant des chansons rigolotes. Notre réalité, c’est donc aussi un univers parallèle que nous construisons au fil des coups de pédale. Notre réalité, c’est un peu d’irréel.

Nous poursuivons donc cette aventure qui nous mène un peu plus loin que le réel. Comme ces mirages que le soleil s’amuse à dessiner sur la route : des flaques d’eau qui, à notre approche,  disparaissent pour réapparaître un peu plus loin. Un peu plus que le réel. Et à jamais inatteignables.

Voici quelques photos de Croatie et de Serbie :

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Terrain de jeux et église :  quelle part de réel, quelle part d’imaginaire ?

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Osijek, Croatie

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Le Danube près de Vukovar, Croatie

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Château d’eau de Vukovar avec les cicatrices des bombardements

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Village croate

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Barbecue serbe

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Notre généreux donateur de Fanta entouré de 2 vieux copains

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Bout de piste cyclable dans la petite ville de Futog, Serbie

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Centre de Novi Sad, Serbie

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Novi Sad, Serbie

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Coucher de soleil depuis la forteresse de Belgrade

 

 

quand Hongrie rime avec paprika

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Le fameux paprika de Kalocsa

 

Nous venons de passer une dizaine de jours en Hongrie. Le royaume du paprika. Derrière nous, l’Europe de l’Ouest et ses repères se sont rapidement effacés. Une dizaine de jours à chercher les indications pour la route cyclable, à s’égarer, à rouler sur des voies cabossées, à retrouver la direction. Une dizaine de jours à s’acclimater à la canicule, aux moustiques voraces, aux rencontres de moins en moins fréquentes avec d’autres cyclistes, à cette langue hongroise si particulière. Une dizaine de jours à se débrouiller pour se faire comprendre, à tenter de percer un peu le mystère de cette Europe de l’Est et à espérer que les clés se révèlent à nous. Une dizaine de jours en équilibre précaire, avançant, tâtonnant, cherchant notre route sous cette lumière aveuglante, recueillant chaque sourire, chaque salutation. Une  dizaine de jours en transition. Vers où ? Vers quoi ? Une dizaine de jours légèrement piquants, parfois légèrement sucrés. Comme le paprika.

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Portail de bois

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Esztergom

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Le monastère d’Esztergom

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Village hongrois en bordure du Danube

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Champ de coquelicots

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Champ de tournesols

 

Et quelques images de Budapest :

2 mois, 2500 kilomètres, Europe de l’est

Depuis 3 jours, nous roulons en Europe de l’Est. Après un passage éclair à Bratislava en Slovaquie, nous sommes à présent en Hongrie. Nous avons donc quitté les pays germanophones : Suisse, Allemagne et Autriche. Voilà un peu plus de 2 mois que nous avons entamé notre périple. Nous avons franchi la barre des 2500 kilomètres il y a quelques jours. Nous sentons que nous entrons dans une nouvelle aventure. À suivre…

Voici quelques images glanées ici et là en Autriche.

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À notre entrée en Autriche, nous nous trouvons en forêt.

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Village autrichien sur le bord du Danube

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Sur un des traversiers qui nous permettent de passer d’une rive à l’autre

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Piste cyclable le long du Danube

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Linz

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Château surplombant le Danube

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Vignobles de la vallée de la Wachau

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Porte de la vieille ville de Krems

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Vue depuis la vieille ville de Krems

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Soirée orageuse à Vienne

 

Vienne, Sissi et moi

J’ai presque 7 ans quand la télévision en couleurs prend place dans notre salon. Au moment même où nous suivons la série télévisée sur Sissi, impératrice d’Autriche. Dèjà, j’étais en pâmoison devant Sissi. Même dans ses habits gris et blanc, Romy Schneider m’envoûte. Alors quand je la vois resplendissante dans ses robes chatoyantes et richement ornées, c’est le coup de grâce. Plus tard, quand je serai grande, moi aussi, je serai une princesse.

Il y a deux jours, nous étions à Vienne. Nous avons visité les jardins et le palais Schönbrunn, résidence des Habsbourg, là où Sissi et François Joseph ont vécu. Dans la grande galerie, j’avais à nouveau 7 ans : une princesse valsant avec son prince charmant. Mais cela n’a duré qu’un instant. L’instant d’une bien courte illusion. Les salles ont défilé, plus fastes les unes que les autres. Un charmant décor de maison de poupées. Une vie factice où l’esthétique primait. Et même si Sissi s’est rebellé contre la rigidité de la monarchie, paradoxalement, elle était le porte-étendard de toute cette magnificence. S’astreignant à des séances d’exercices, s’absentant la plupart du temps des repas familiaux, passant des heures dans son cabinet de toilette, à la fois esclave et tyran de sa propre beauté. À Schönbrunn, malheureuse, elle n’y faisait que passer et voyageait partout dans le royaume.

Je ne suis pas devenue une princesse. Au moment où j’écris ces lignes, je me réveille dans une toute petite tente, plutôt sale, la pluie tambourine au-dessus de ma tête et des dizaines de grosses limaces glissent sur les parois de la tente. Hier soir, j’ai mangé un couscous à l’eau additionné de purée de tomates. Je m’apprête à remettre mes vêtements de cycliste, humides, et que je n’ai pas pris le temps de laver hier soir, et à repartir pédaler sous la pluie pour 60, 80 kilomètres ou peut-être plus. La beauté, je n’ai pas à  m’y astreindre, elle vient à moi. Elle est à la fois en toute chose et dans le regard que je porte sur ces choses. Qui sait quelle forme elle prendra aujourd’hui. Comme Sissi, je voyage mais ce n’est pas seulement le point de chute qui m’importe, c’est tout le chemin. Et mon royaume, c’est le monde, les gens, la vie.

Je ne suis pas devenue une princesse. Quelle chance !

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Palais Schönbrunn à Vienne

 

 

Auf Wiedersehen Deutschland !

Au revoir Allemagne !

Au revoir les maisons au crépi coloré, couleur pastel, appuyées les unes sur les autres dans les villes et les villages, les clochers d’églises en forme de bulbe, les places et leur fontaine d’eau potable.

Au revoir les jardins fleuris luxuriants, les entremets légèrement sucrés comme repas du midi, les Jésus crucifiés sur leur croix de bois jalonnant notre parcours cyclable.

Au revoir les lièvres qui détalent devant nos roues, les familles de cygnes avec leurs petits au plumage gris ébouriffé, le coucou qui inlassablement répète sa question dans la forêt.

Au revoir la bande cyclable le long du Danube, souvent caché par de hautes digues en raison de débordements fougueux, les montées et les descentes dans les villages mais aussi sur des routes de terre dans les bois.

Au revoir les champs de houblon qui monte sur de très hautes tiges, les coquelicots qui embellissent de leur tache rouge tout le paysage, les falaises effleurées entre Tuttlingen et Sigmaringen.

Au revoir à tous ces gens qui nous ont accueillis et avec qui nous avons échangé anecdotes et histoires, avec qui nous avons ri, avec qui nous avons cuisiné, avec qui nous avons partagé le quotidien, avec qui nous avons parlé de nos cultures distinctes, avec qui nous avons établi une réelle connexion.

Au revoir Allemagne ! Alors que nous commencions à avoir nos repères, il a fallu se quitter. L’Autriche déjà nous attendait. Ça y est, les pays vont se mettre à défiler les uns à la suite des autres. Aurons-nous la chance d’en attraper quelques effluves ?

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Pause lunch

 

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Camping au bord du Danube

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Neuburg, Allemagne

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Monastère de Weltenburg

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Sur le traversier dans les gorges du Danube: de Weltenburg à Kelheim

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Depuis quelques jours, nous roulons enfin au fil du Danube.

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Regensburg

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Cathédrale de Regensburg

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Résidence du Kaiser (Roi) à Regensburg

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Napoléon a vécu ici à Regensburg (Ratisbonne)

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Cygnes sur la piste cyclable. Depuis le tout premier jour de notre périple, les cygnes nous accompagnent.

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Passau

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À Passau, dernière étape en Allemagne : confluence des 3 rivières l’Inn, l’Ilz et le Danube

 

 

les fraises qui n’ont pas de nom…

… n’ont pas de goût.

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Nous avons commencé à manger des fraises il y a un mois. Près de Lyon, il faisait beau et chaud et les fraises, goûteuses, se nommaient Ciflorette, Gariguette, Mara des bois, des noms de petites filles mutines. Et puis nous sommes remontés vers le nord et le froid. Et à un certain moment, les fraises ne s’appelaient plus que fraises et leur goût est devenu fade, voire insipide. Printemps tardif et trop pluvieux. Le soleil qui magnifie toute chose se terrait. Depuis que nous sommes en Allemagne, notre diète quotidienne comprend un gros casseau de fraises sans nom. Parfois délicieuses quand nous les achetons sur la place du marché ou directement à la ferme mais la plupart du temps manquant de saveur. Et si elles avaient des noms bien à elles, est-ce qu’elles seraient plus délectables ? Quand nous pouvons nommer les moindres détails de notre quotidien, nous l’enrichissons. Quand nous décrivons notre environnement avec minutie, nous l’embellissons. Quand nous nous racontons nos rêves et nos espoirs, nous leur pavons la voie. Ailleurs, dans un pays qui ne parle pas la même langue que moi, les quelques mots que j’arrive à prononcer en allemand laissent tout doucement leur trace sur mes papilles. L’anglais, cette langue partagée, nous permet d’entamer un dialogue entre nos cultures différentes, d’entrouvrir un espace pour nous rejoindre. Mais c’est lorsque nous sommes au plus près de notre propre histoire que le parfum qui émane de notre discours est le plus tenace. Depuis que nous avons quitté la France, les occasions de conter ont été rares. Dans un anglais quelquefois imparfait, j’ai pu transmettre, deux fois, des contes courts à nos hôtes. De ces histoires qui nous lient tous dans cet enchantement des sens, dans cet envoûtement aux mille et une saveurs. En France, conter participait à cette sensation de fluidité de la parole, de plénitude. Mon corps entier irrigué par ces trames tissées dans l’instant au fil des mots. Une parole à la fois nourrissante et savoureuse à dire. Alors, la saveur des fraises est-elle dans la chair ou dans l’anticipation que l’évocation de leur nom fait naître en nous ?