deux anges

La journée avait bien débuté. Étienne s’était réveillé de bonne humeur et rapidement, il s’était mis en branle. Moi, malgré une légère fièvre et un mal de gorge, j’avais hâte de profiter de la belle randonnée qui s’annonçait. Nous devions pédaler sur près de 65 kilomètres le long du détroit de Northemburland en Nouvelle-Écosse pour nous rendre à Tatamagouche. Nous avions prévu coucher au motel et prendre la journée du lendemain pour nous reposer. Car nous sommes tous les deux épuisés. Mais la perspective d’Halifax, notre but, si proche, et où viendrait dans quelques jours nous rejoindre Stéphane me donnait des ailes.

Depuis quelque temps, ma cadence a augmenté alors que celle d’Étienne n’a fait que ralentir de plus en plus. Il se plaint de la fatigue accumulée à parcourir tous ces kilomètres et à affronter les éléments jour après jour. Sa motivation est en baisse depuis Percé. Son questionnement récurrent quant au but du voyage, quant à savoir à quoi cela va servir au final, a donné lieu à d’innombrables discussions. Parfois riches mais éreintantes. Par moments, la lassitude nous gagnait tous les deux. J’ai tenté d’être alerte et de redonner de l’élan à cette aventure, d’insuffler un peu de légèreté. Je n’y suis pas toujours parvenue. Par chance, nous n’avons pas perdu notre complicité et nous avons eu notre lot de beaux moments et de franche rigolade.

Hier, je pédalais avec aise et je savourais ce que le paysage avait à m’offrir quand un homme a ralenti à mon niveau pour m’apprendre que mon fils était tombé de bicyclette, qu’il s’était relevé et que sa femme était avec lui. Comme les derniers jours, j’avais pris beaucoup d’avance et j’étais sur le point de m’arrêter pour l’attendre. J’ai fait demi-tour le coeur battant. J’étais en colère contre moi-même car j’aurais dû m’ajuster à son rythme et ne pas le perdre de vue. C’était ma responsabilité en tant que mère. L’inquiétude a pris le dessus: j’espérais qu’il ne soit pas blessé gravement. Quand je l’ai rejoint, il était par terre sur le bas-côté de la route. Une plaie à l’entrejambe l’empêchait de remonter sur le vélo. Et quand il a voulu se relever, il était étourdi et a failli perdre connaissance. Nous nous sommes installés à l’ombre et avons discuté des possibilités. Ce qui s’offrait à nous alors ne m’enchantait guère: retourner au camping qui n’était qu’à environ 6 kilomètres et attendre une journée ou deux qu’Étienne se rétablisse. Seulement, j’aurais vraiment préféré que l’on se repose dans un bon lit au motel. Nous en étions à reprendre nos esprits quand nos deux anges sont revenus nous faire une proposition d’une grande générosité. Nigel et Debby ont embarqué nos deux vélos sur la remorque qu’ils utilisent pour leur motocyclette et nous ont conduits, 60 kilomètres plus loin, au motel à Tatamagouche. Nous avons discuté gaiement tout le long du trajet. Ils ont, comme plusieurs personnes que nous avons croisées dernièrement, félicité Étienne pour ce qu’il avait accompli pendant ces 8 semaines à vélo. Quand nous nous sommes faits l’accolade au moment de nous quitter, j’avais les larmes aux yeux. Quelques minutes plus tard, ils sont revenus et Nigel m’a raconté comment en Inde, les Intouchables, tout au bas du système de castes sont valorisés car ils permettent aux autres de donner. J’ai hoché la tête, j’ai mis la main sur mon coeur. Je n’ai rien ajouté. Nous étions tous les deux émus.

Étienne et nos deux anges, Nigel et Debby

P.S.: Nous nous sommes reposés aujourd’hui. La plaie d’Étienne est toujours à vif et le fait souffrir quand il se déplace mais il a fait un essai à vélo ce soir et nous tenterons de repartir demain matin.

le littoral acadien

Au Nouveau-Brunswick, de Campbellton à Petit-Cap, nous avons suivi le littoral acadien, parfois sur la seule route disponible et malheureusement fort achalandée mais aussi le plus souvent possible sur des routes secondaires. Nous pédalions dans l’air salin qui nous envoûtait. La Baie des Chaleurs, le golfe du St-Laurent, le détroit de Northemburland, les rivières, les anses et les nombreux marais nous ont peint des bleus et des verts à perte de vue. Le vent ne nous fut pas toujours favorable, loin s’en faut. Mais l’accueil des Acadiens a soufflé chaleureusement sur nos coeurs.

quand je serai grande…

… je voudrais être comme Lorraine et Roland.

Lorraine et Roland, Caraquet, Nouveau-Brunswick

Il y a une semaine, nous avons eu le grand bonheur de passer deux jours à Caraquet chez Lorraine et Roland. Deux jours à rigoler, à partager nos anecdotes, à m’immerger dans leurs univers. Deux jours de thérapie par le rire et d’apprentissage accéléré des trucs de Roland mais aussi de la vie, prête à être cueillie comme les superbes fleurs dans le magnifique jardin de Lorraine. Deux jours à côtoyer cette gamine et ce gamin si curieux, si vifs d’esprit, si pétillants de vie. Deux jours à effleurer ce qu’être humain, dans toute sa richesse, sa complexité et sa joie, peut être.

Quand je serai grande, j’aimerais bien comme Roland envisager chaque problème comme une merveilleuse occasion de trouver des solutions, accueillir ce qui peut m’être offert, cultiver une attitude aventurière face aux voyages, face à ma vie et rendre gloire au dieu du vélo!

Quand je serai grande, j’aimerais bien comme Lorraine semer à tous vents, le sourire aux lèvres et l’oeil moqueur, les germes de la rébellion, de la curiosité intellectuelle, de l’engagement dans la communauté, de la beauté tout azimut.

Quand je serai grande, je voudrais aussi être comme Marthe et Charles, si complices, bons vivants, se laissant voguer au gré de leurs envies au jour le jour. Et accueillants avec naturel et en toute simplicité!

Marthe et Charles, St-Louis-de-Kent, Nouveau-Brunswick

Quand je serai grande, je voudrais danser librement, festoyer pour célébrer la vie, le temps qui passe, comme ces Acadiens un vendredi soir au camping de Val-Comeau dans la péninsule acadienne.

Quand je serai grande, je voudrais être fière de ce que je suis, généreuse, accueillante, joyeuse, simple et complexe à la fois.

Quand je serai grande, je voudrais être… Acadienne!

P.S.: Mon ancêtre Guillaume Trahan était Acadien.

Moi, Acadienne… ou presque!

Mon futur vélo acadien.