texte écrit le 19 février 2014 lors d’un périple au Vietnam et au Laos
Le premier coup de pédale soulève l’enthousiasme. Le second libère les tensions. Tous les autres qui suivront n’auront de but que de nous poser sur notre trajectoire. Sur notre vélo, c’est là que nous nous sentons bien, à notre place. Pas immobiles, mais en mouvement, sur notre chemin. Le vélo nous donne des ailes.
Le vélo, par sa lenteur, s’accorde à notre rythme naturel. Il est l’antithèse, et l’antidote, de toutes ces technologies nous incitant à nous précipiter toujours plus vite vers l’avant, effaçant toute notion d’espace et de temps. Voyager à vélo inscrit le paysage et la durée du périple dans le corps. Cela rythme la journée, encadrant nos gestes dans une certaine routine et imprimant dans notre mémoire une multitude de petits moments. Notre corps exige sa part de lenteur. De mouvement, oui, mais sans hâte, sans grande vitesse. Permettant à nos sens de bien percevoir notre environnement, de s’y fondre.
Voyager à vélo nous donne accès à des endroits peu fréquentés. Étant maîtres de nos déplacements, nous prenons, quand bon nous semble, des chemins de traverse et visitons des sites historiques ou naturels éloignés des villes et des points d’intérêt du tourisme de masse. Une plage isolée n’attend que nos mouvements de brasse. Des ruines de temples Cham ou une petite pagode s’offrent à notre regard admiratif. Une promenade urbaine dans une petite ville ne demande qu’à être parcourue. Une place publique nous allèche avec tous ces étals de cuisine de rue. Et toutes ces petites routes qui nous appellent. Ainsi, en sortant de Quy Nhon, nous pédalons sur une route secondaire au bord de l’océan et du haut des côtes que nous grimpons, nous avons, en plongée, une superbe vue sur le littoral et sur la baie. Et nous avons quitté l’enfer de la route mandarine! Pour rejoindre Mui Ne à partir de Phan Ri, nous empruntons une route ensablée sous un soleil torride pour une vingtaine de kilomètres. Et pourtant, nous sommes enchantés de rouler entre les gigantesques dunes de sable et la mer. Dans le delta du Mékong, nous empruntons petites routes et allées en ciment. Nous nous faufilons sous la canopée des cocotiers et traversons de petits ponts de bois brinquebalants. Nous redevenons des enfants qui se prennent pour des explorateurs!
Voyager à vélo ouvre les portes de l’enchantement. Les sens en alerte, nous devenons présents à ce qui est en nous et autour de nous, profitant de ce que le voyage met sur notre chemin. Au fil des coups de pédale, nous roulons au niveau de la vie qui grouille et que nous côtoyons de village en village. Nous sommes les témoins privilégiés de tous ces gestes si vivants. Et cette proximité est la passerelle vers la découverte, vers l’émerveillement. De plus, grâce à toutes les pauses quotidiennes nécessaires et non planifiées, nous nous immiscons dans ces communautés. Dans les gargotes en bord de route où nous dînons. Dans les marchés extérieurs de petits villages où nous nous procurons fruits et pains. Dans tous ces petits magasins ouverts en façade où nous achetons de l’eau. Auprès des mécaniciens de vélo et de moto qui, grâce à leur compresseur, gonflent nos pneus. Devant les étals de banh mi dans les villages et devant les étals de fruits en bord de route en campagne. Dans ces petites villes où le soir venu, après avoir trouvé un hôtel, nous déambulons dans les rues et soupons sur le trottoir d’une délicieuse cuisine de rue parmi les Vietnamiens. Partout où nous roulons comme partout où nous nous arrêtons, nous avons l’énorme chance d’établir de vrais contacts, d’être en prise directe avec la vie.
Voyager à vélo permet des rencontres fortuites qui autrement n’auraient pas lieu. Tous ces motocyclistes qui ralentissent à notre hauteur et qui échangent quelques mots avec nous. Tous ces écoliers à vélo croisés à la sortie des classes. Tous ces gens qui, de leur domicile ou d’un commerce, nous saluent. Et tous ceux qui partent d’un rire contagieux en apercevant Étienne sur sa girafe, derrière Stéphane. Juste avant le col de Dai Lanh, l’orage menaçant, nous décidons de nous arrêter dans un resto de bord de route pour 2 heures, permettant un moment d’échange mémorable avec la famille qui tient le restaurant. Peu après Tam Ky, Quynh, une jeune fille sur son vélo électrique, se met à mon niveau et engage la discussion, se pratiquant ainsi pour une compétition d’art oratoire en anglais. Puis, elle nous conduit dans l’enceinte de son école secondaire et nous présente à ses camarades de classe. Un peu plus tard, lors de la même matinée, une vieille dame rencontrée devant un marché me prendra les mains et nous remerciera d’avoir parlé avec elle en anglais. À Van Gia, nous partageons un thé avec M. Dam, un professeur d’anglais, dans son petit salon. Dans le delta du Mékong, entre Long Xuyên et Rach Gia, nous pédalons sur une route , d’une soixantaine de kilomètres, longiligne et étroite. La chaussée est en mauvais état, sans accotement et avec un trafic dense de gros véhicules passant à 2 pieds de nous. Dans ces conditions, la deuxième crevaison en deux jours que nous venons de subir s’avère une bénédiction. Nous qui étions tendus vers la destination, appréciant peu le paysage et le chemin, cet arrêt obligé nous remet dans le moment présent. À peine avons nous démonté le pneu arrière du vélo de Stéphane sous l’ombre projetée d’un petit café familial que le père de famille s’amène avec sa pompe pour nous aider. Avec quelques mots de vietnamien et des mimiques éloquentes, Stéphane fera rire toute la galerie en tournant en dérision l’efficacité douteuse de notre mini-pompe. À la fin, famille et voisins s’étant joints à nous, une douzaine de personnes nous entoure. Voilà ce dont nous avions besoin: un moment de pure rencontre avec sourires, accueil et générosité. Nous repartons le coeur plus léger et plus à même de profiter du paysage que nous offre le grand canal que nous longeons avec sa navigation fluviale et les mille activités qui en découlent.
Voyager à vélo pousse au dépassement de soi. Dans l’effort physique et l’extrême vigilance exigés, certes, mais aussi dans l’idée d’aller au-delà de soi. Constamment, les opportunités de contact nous invitent à maintenir cette ouverture d’esprit face à l’autre, que nous n’avons de cesse de rencontrer. Dans cet état allégé d’allégresse que procure l’effort de se déplacer grâce au travail de nos muscles, se manifestent curiosité, enthousiasme et désir de communiquer. Ne reste plus alors qu’à foncer, dans la spontanéité, dans cet élan de vie, vers ailleurs que soi.
Au tout début de notre périple à vélo, nous avions le souhait que le chemin nous fasse, nous défasse et nous refasse sans cesse. Voyager à vélo met en place les conditions nécessaires à ce que chaque jour soit l’équivalent d’un présent à déballer. Voyager à vélo nous place dans un état fébrile, à une perception près d’être emballés. Voyager à vélo ménage à chaque instant la possibilité d’être surpris, émerveillés ou bouleversés en autant que nous laissions le chemin se dérouler sous nos roues et en nous.
Voyager à vélo, c’est vivre intensément!
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