« Il y a une étoile mise dans le ciel pour chacun de nous, assez éloignée pour que nos erreurs ne viennent jamais la ternir. » Christian Bobin, Ressusciter
Depuis longtemps, mon esprit a besoin d’espace, de liberté, de s’arrimer aux ailes du vent, de sentir un souffle plus grand le soulever, l’emporter, le transmuer. Un jour, j’ai 8 ans, j’enfourche mon vélo, je parcours la moitié de la ville et j’entre dans la bibliothèque. Cette mise en mouvement physique s’accompagne déjà d’une mise en mouvement d’un espace intérieur. Je ressens cette ouverture du territoire et cette suspension du temps, conditions propices à l’exploration et à la plongée dans l’imaginaire. Je dévore les livres : dans la même respiration, je m’évade et je suis. La dimension onirique et le réel se répondent. Plus tard, à partir d’un rien, j’invente des histoires éphémères, dans l’instant, et dont je ne garde aucune trace. Déjà, c’est le processus et le moment de présence à ce qui va se dévoiler, la jouissance pure de créer, qui m’importent davantage qu’une construction au préalable ou que la pérennité. Ces explorations avec l’oralité me connectent à une sensation de vitalité. En moi se dépose le germe d’une conviction qui mettra des années à s’épanouir : celle que nous pouvons construire une réalité vibrante d’imaginaire, une vie dans la vie, dans laquelle se déploie notre histoire, plus grande et plus riche que sa manifestation extérieure.
Les livres m’avaient mise en appétence, je m’étais mise à écrire moi aussi, à écouter le bruit des mots, à les laisser me tracer de nouveaux itinéraires et me guider dans la découverte de façons inconnues d’appréhender le monde, à habiter ce lieu qu’est l’écriture. Je suis curieuse, j’aime le cinéma, le théâtre, la littérature quand tout-à-coup, l’univers de la danse contemporaine m’emporte dans un grand vent fou. S’ouvrent alors toutes grandes les portes d’un espace que je ne savais pas posséder : un endroit où ne pas tout comprendre, voilà qui est délicieux. Les années passent et l’art du conte arrive à moi, innocemment et revêtant le visage pur de l’enfance. Le jeu de la transmission orale, toute simple, toute nue, me transporte de joie.
Dans le ciel étoilé, je ne retrouve pas mon image et pourtant, chaque fragment lumineux m’aide à tracer le chemin de mon histoire. Les étoiles me murmurent leurs secrets et leurs rêves. Les contes qui m’effleurent, me font résonner, me choisissent et renaissent, par et pour moi, viennent de partout et de nulle part, de maintenant et d’il y a très longtemps. Leur poésie sourd sous mes pieds, dirige mes pas dans la forêt des paroles imaginées, et dans mon esprit ouvert et nomade, les contes se teintent de ma sensibilité, prennent forme, charrient leur torrent d’images. J’aime raconter des récits qui goûtent, qui jouent sur les textures, dont les charmes et les mystères me demeurent parfois inaccessibles, qu’ils soient de création, inspirés de motifs traditionnels ou contes classiques transmis depuis si longtemps par la puissance de l’oralité. Une légende Rom affirme que c’est la force et l’enchantement de leur langue qui gardent la lune dans l’attraction de la Terre.
Je conte et j’écris pour côtoyer la beauté, pour découvrir des parts de moi insoupçonnées, pour révéler des bribes de l’âme humaine, pour rencontrer l’Autre, pour entrevoir l’Ailleurs, pour écouter la musique du cœur du monde, pour tutoyer l’immensité, pour rêver encore et encore. Mon désir de rêves est si grand. Dans mes histoires, les songes s’immiscent. Ma présence appelle leur fougue, mes gestes se drapent de leurs oripeaux, mes mots leur inventent des écrins, mes yeux nimbés de leur mystère, et dans mes silences, les rêves se déploient, toujours plus grands. Rêveuse d’histoires, valsant dans les bras de ma fragilité avec la force de la parole, je chemine de rencontres en rencontres. Créer un espace commun de rêveries, vivre pleinement un moment précieux où tout peut se recréer, offrir des perles de beauté, voilà ce que je souhaite partager. Car nous sommes, humains, des êtres aspirant à faire vibrer cette part de rêves lovée tout contre notre cœur, à être caressés et bercés par le souffle des contes, de la parole, de la poésie. Par ma présence, inviter au voyage dans l’imaginaire, susciter l’envie de liberté, participer à l’enchantement du monde. Là encore, la sagesse tsigane, par ce proverbe : « Je ne suis pas riche des choses que j’ai ramassées mais de celles que j’ai données. ». Je me projette dans des futurs multiples, et inimaginables, ici, ailleurs et sur toutes les routes où l’écriture et l’oralité me feront danser, ivre de moi, des autres, du monde et de la parole vraie et libre, endimanchée de tous ses apparats.
Marie-Christine Trahan, artiste de la parole / conteuse
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