Participer à l’enchantement du monde

Participer à l’enchantement du monde pour qu’éclabousse la beauté sur nos parois invisibles. Un cri, un chant, une larme muette fourmillent sur nos peaux tatouées de chagrin. Une danse s’imprime sous nos pas répétitifs, dans notre chair anesthésiée, hors de son orbite depuis des temps trop anciens. Reconquérir la mémoire de l’eau sous nos rides et dans le creux des hanches. Inlassablement, peindre notre visage jusqu’à y découvrir ses paysages ancestraux. Écouter notre sang frémir, palpiter, contre les rivages de nos désirs. Notre souffle advient, palimpseste de nos émois à venir.

Participer à l’enchantement du monde, s’immiscer par la déchirure et arpenter les chemins broussailleux, flâner dans les champs en jachère et écouter le silence de la terre, si plein, si vibrant. Louer la déchirure qui, non, ne s’est pas cicatrisée mais qui tremble au moindre soupir. Louer la déchirure par laquelle pénètre la lumière. Consentir à garder les yeux ouverts, à scruter la pénombre, à apercevoir, ô joie, le scintillement des lucioles. Consentir à ouvrir les bras, plus grand, d’une immensité telle que le vertige se déploie et nous emporte là-haut, plus haut. Consentir à entendre les chants des oiseaux sous notre crâne, à en discerner les motifs récurrents et les mélodies nouvelles, à nous laisser ensorceler, pantois, y entremêlant notre propre sifflement.

Participer à l’enchantement du monde pour que le réel cesse sa glaciation, pour que les ténèbres s’apprivoisent, pour que la pluie s’illumine. Ma main dans la tienne, mes frayeurs nous accompagnant, je n’aurai que ma voix comme offrande. Une voix habitée de mille mondes, une parole jaillissante, à la fois tumulte et accalmie. Des paroles innombrables l’auront fécondée et à son tour, elle nourrira la terre, caressera le visage des hommes, bercera les petits corps, allumera des étincelles de beauté au coin des yeux.

La fuite, et moi

Ce qu’on attend de moi, ce n’est pas une disparition, ce n’est pas une évasion, ce n’est pas une fuite. Ce qu’on attend de moi et ce que j’attends, secrètement, de moi-même est-ce si éloigné que la rupture au monde me soit la seule solution?

La fuite quand elle nous ramène à soi, à l’essentiel, à l’être, à cette part d’humain plus tremblante que jamais, plus vraie, la fuite n’est pas un détachement, elle est un raccordement à ce qui est véritablement et à ce qu’on a laissé s’oublier au fil du temps et des poussières accumulées, elle est un apaisement.

La fuite est mouvement, elle nous propulse vers l’avant, elle nous sort de nos ornières habituelles et nous remet sur notre chemin. Le pas hasardeux ou léger, confiant, nous allons, sautillant, sur notre chemin. Nous ne sommes pas seuls, nous sommes tout ce que nous avons été et tout ce que nous pourrons devenir. Notre chemin n’est pas isolé. Nous avons beau piétiner dans les broussailles, nous perdre dans la forêt des possibles, nous croisons toujours d’autres routes, d’autres sentiers qui mènent à d’autres que nous.

La fuite n’est pas une disparition. Elle est un élan vers quelque chose de plus, quelque chose d’entier. Elle est une conquête de tous ces fragments qui nous composent. Elle nous pousse, nous tient la main, nous accompagne sur nos chemins de poussière, et avec elle nous découvrons l’éclat coloré de nos tourments sincères. La fuite, à ce qui fige, est un formidable rire tonitruant dans la cascade du temps. La fuite est une réappropriation de soi. D’un soi réel et imaginaire. D’un soi réinventé à chaque instant, et toujours plus vaste.

La fuite n’est pas une évasion. Elle est un cri que l’on tait mais dont on suit le parcours sinueux. La fuite n’est pas tapageuse; elle ne s’enivre pas de futilités. Elle ne cherche pas l’exotisme de pacotille, elle ne se divertit pas à outrance. La fuite n’est pas un engourdissement du réel, le prolongement de cet anéantissement de soi que l’on pratique déjà au quotidien. S’il y a ivresse, elle est dans cette ouverture des sens, dans cette sensation, si fragile, d’un début d’appartenance. Être ivre de ce que l’on est et ne pas chercher à s’en débarrasser.