La fuite, et moi

Ce qu’on attend de moi, ce n’est pas une disparition, ce n’est pas une évasion, ce n’est pas une fuite. Ce qu’on attend de moi et ce que j’attends, secrètement, de moi-même est-ce si éloigné que la rupture au monde me soit la seule solution?

La fuite quand elle nous ramène à soi, à l’essentiel, à l’être, à cette part d’humain plus tremblante que jamais, plus vraie, la fuite n’est pas un détachement, elle est un raccordement à ce qui est véritablement et à ce qu’on a laissé s’oublier au fil du temps et des poussières accumulées, elle est un apaisement.

La fuite est mouvement, elle nous propulse vers l’avant, elle nous sort de nos ornières habituelles et nous remet sur notre chemin. Le pas hasardeux ou léger, confiant, nous allons, sautillant, sur notre chemin. Nous ne sommes pas seuls, nous sommes tout ce que nous avons été et tout ce que nous pourrons devenir. Notre chemin n’est pas isolé. Nous avons beau piétiner dans les broussailles, nous perdre dans la forêt des possibles, nous croisons toujours d’autres routes, d’autres sentiers qui mènent à d’autres que nous.

La fuite n’est pas une disparition. Elle est un élan vers quelque chose de plus, quelque chose d’entier. Elle est une conquête de tous ces fragments qui nous composent. Elle nous pousse, nous tient la main, nous accompagne sur nos chemins de poussière, et avec elle nous découvrons l’éclat coloré de nos tourments sincères. La fuite, à ce qui fige, est un formidable rire tonitruant dans la cascade du temps. La fuite est une réappropriation de soi. D’un soi réel et imaginaire. D’un soi réinventé à chaque instant, et toujours plus vaste.

La fuite n’est pas une évasion. Elle est un cri que l’on tait mais dont on suit le parcours sinueux. La fuite n’est pas tapageuse; elle ne s’enivre pas de futilités. Elle ne cherche pas l’exotisme de pacotille, elle ne se divertit pas à outrance. La fuite n’est pas un engourdissement du réel, le prolongement de cet anéantissement de soi que l’on pratique déjà au quotidien. S’il y a ivresse, elle est dans cette ouverture des sens, dans cette sensation, si fragile, d’un début d’appartenance. Être ivre de ce que l’on est et ne pas chercher à s’en débarrasser.