La vie est un long fleuve tranquille. Elle coule, inexorable, pour se jeter vers sa fin. Assise sur un banc, je regarde l’eau du Danube, si étroit ici à Tuttlingen, défiler devant moi. Des milliers de ridules se déplacent et vibrent à la surface. Le courant charrie une multitude de petits débris. L’eau se renouvelle sans cesse, elle n’est jamais la même et pourtant le Danube garde son nom. À tout moment, il est autre et pourtant lui-même. Je pense à ma vie qui ressemble le plus souvent à ces petites mares où l’eau stagne. J’ai voulu ce voyage pour que l’eau des fleuves coule en moi, pour que la fluidité de la vie vibre en moi. L’eau du fleuve coule vers l’aval mais lui, le fleuve, jamais il ne se précipite. Il est ici ou là. Mais s’il est ici, tout petit, à Tuttlingen, il est aussi là-bas, immense, dans son delta se jetant dans la mer Noire, sa fin, son apothéose. Il est là où il est, tout simplement. J’ai voulu ce voyage pour être là, tout simplement. Et me voilà encombrée par l’anticipation de ce qui adviendra, par la planification des prochaines étapes. Un barrage s’est érigé en moi. L’eau a été déviée. Elle ne m’alimente plus comme auparavant. Alors qu’au début tout coulait de source maintenant, je suis plongée dans les cascades et les tourbillons. Le rythme a été interrompu, inversé. Alors que habituellement ce n’était qu’après quelques semaines de voyage qu’un rythme fluide s’installait, là, déjà très tôt, nous étions en état de grâce. Puis-je retrouver cet état ou dois-je, comme le fleuve, m’adapter aux éléments, laisser couler ? Ou est-ce deux manières de dire la même chose ? J’ai voulu ce voyage pour être au plus près de moi et pour être pleinement présente à Étienne et à ce qu’on allait vivre ensemble. Je m’en éloigne trop souvent. Mais comme le fleuve qui, lors des crues, sort de son lit puis y revient, j’essaie de garder la trace de mon essence, l’origine de ma source. Aujourd’hui, demain peut-être, une goutte d’eau retrouvera sa route, sa direction. Et puis une autre. Et d’autres gouttes d’eau encore. Je n’aspire qu’à être un fleuve.

Le Danube à Tuttlingen
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