les clichés

Faire le tour de la Gaspésie, c’est déjà un cliché.

En voici d’autres à propos du voyage en Gaspésie. Photographier le rocher Percé sous tous ses angles. Être abasourdi par le nombre et les cris ahurissants de la colonie de Fous de Bassan nichant sur l’île Bonaventure. Se laisser charmer par l’accent chantant des Gaspésiens. Tomber en pâmoison, entre mer et montagnes, devant les paysages à couper le souffle (et les jambes) sur le côté nord de la Gaspésie. Rencontrer des ours ou vouloir à tout prix les fuir en se baladant au parc Forillon. Apercevoir la nageoire dorsale d’un petit rorqual émergeant des flots, la queue blanche d’un rorqual à bosse plongeant dans le golfe ou un phoque se prélassant sur un rocher à marée basse. Humer à plein nez le parfum envoûtant des lilas en fleurs à la fin du mois de juin entremêlé aux effluves salins venant du large. Résister au froid qui perdure et au vent déchaîné. Devenir le terrain de jeux de prédilection des maringouins et des mouches noires. Contempler en état d’ivresse toutes les nuances de bleu et de vert qu’offre la mer.

Mais une fois les clichés éculés que reste-t-il?

Quand le regard anticipe déjà le paysage à venir, quand les sens sont en attente de sensations prévues, quand une fois sur place tout ce qui a été programmé prend sa pleine dimension, sommes-nous autre chose que le spectateur bien sage devant une mise en scène de la réalité, que le consommateur qui, rapidement, passe à la prochaine pose? Est-ce que chacun de nos gestes, aussi vrai et senti soit-il, n’a pour but que de nous mettre, nous aussi, en état de représentation? La surabondance d’images et d’informations convergentes conditionne-t-elle notre façon d’appréhender le réel?

Et s’il suffisait seulement de faire le pas de côté, celui qui change l’angle de perception, qui modifie notre rapport au monde, qui ancre en nous un état de présence sensible au non-vu, à l’invisible, au mystère… Ou est-ce encore un cliché?

Et pour finir, quelques clichés photographiques:

les Madeleines

Les Madeleines, ces grosses côtes dans les montagnes entre Rivière-la-Madeleine et Grande-Vallée en Gaspésie, sont derrière nous. Je les ai longtemps anticipées. Ces Madeleines, immobiles et pourtant tellement vivantes en moi depuis la conception du voyage. Ces Madeleines que je connais pour les avoir arpentées à vélo il y a plus de 20 ans. Ces Madeleines comme une étape à franchir, un tremplin pour la suite du périple. Car maintenant affrontées, le reste du paysage pourra se dérouler sous nos roues. Nous nous en sommes approchés furtivement, lentement, et au final, ce fut beaucoup moins souffrant que je ne l’avais imaginé. Et puis, pour Étienne, ce fut la première fois depuis le début du voyage qu’il a exprimé qu’il était fier de lui.

Ces derniers jours, les étapes ont été courtes. Le regard aimanté par l’immensité du bleu des flots et de l’azur. Le temps s’étirant entre le moment où notre journée à vélo s’achevait et celui où le sommeil nous étreignait. Nous campons plus souvent, les rencontres se font plus rares et les temps de latence, d’immobilisme, se répètent jour après jour. Davantage de temps pour être ensemble, créer des rituels complices, naviguer dans nos imaginaires respectifs. Et pourtant, malgré cette grande disponibilité, l’écriture se fait attendre. Maintenant que les Madeleines sont derrière nous, que la barrière est tombée et que les étapes s’allongeront à nouveau, j’ose espérer que l’élan suivra.

ste-félicité

Voilà déjà 3 semaines que nous sommes partis. 814 kilomètres au compteur. Nous avançons lentement. Surtout depuis une semaine, alors qu’un vent froid qui vient du large nous repousse avec ardeur. Le relief a ses exigences, et notre corps s’y adapte tranquillement. L’écriture est elle aussi en dormance, frigorifiée.

Cette nuit, le mercure oscillera autour du point de congélation. Sous notre tente légère, bien emmitouflés dans nos duvets, nous aurons le bout du nez gelé. Pour avoir droit de passage en Gaspésie, pour pouvoir respirer l’air salin de cet immense fleuve, pour imprimer le paysage sur nos rétines et dans chacune des fibres de notre être, il faut payer tribut, il faut accepter les morsures du froid en juin en roulant avec gants et bonnet en plein jour, il faut s’habituer au souffle court et aux muscles douloureux.

Ce week-end, nous venons de le passer à l’auberge de jeunesse de Ste-Félicité en compagnie de Stéphane, venu nous y rejoindre pour un bref intermède. Ste-Félicité, un nom prédestiné pour cette bulle de réconfort, d’encouragement et d’amour? Ste-Félicité, tremplin vers d’autres beautés, d’autres grandes joies?

Ce diaporama nécessite JavaScript.

le voyage: chemin, état, rythme

Demain matin, comme les derniers jours, nous reprendrons la route, le fleuve nous accompagnera, mon regard s’y noiera. Depuis mardi, ce périple le long du majestueux fleuve St-Laurent a réellement débuté. À présent, mon chemin se dessine dans l’odeur de la vase à marée basse et dans le murmure des vagues qui me berce la nuit. Aujourd’hui, un petit 40 kilomètres avec un fort vent de face: nous avancions comme des tortues en forçant comme des bêtes! Nos muscles déjà endoloris crient souffrance! Partis depuis deux semaines, nous avons parcouru 582 kilomètres. Les cinq premiers jours ont consisté à pédaler pour nous rendre aux environs de Québec où nous avons séjourné chez divers amis (retrouvailles et repos pour Étienne qui était fiévreux).

Mais voilà, pendant cette période d’arrêt, ceci dit fort réjouissante, cette impression d’être dans un espace de flottaison, quelque part hors du voyage, même si cela en faisait partie. J’avais hâte de reprendre la route, de me remettre, le corps et l’imaginaire, en mouvement, de respirer à fond, de sentir la vastitude se déployer en moi, de ressentir l’élan du voyage qui me transporte. Comment garder vibrant cet état de présence que l’élan du voyage imprime dans notre être tout entier lorsque le corps s’arrête pour quelque temps alors que le voyage, que la vie, que les découvertes et les partages se poursuivent hors de cette cadence rythmée, imposée par le vélo? Ce voyage est-ce seulement un chemin tracé le long d’un cours d’eau, des kilomètres à avaler à vélo?

Ce voyage, je le rêve encore pour qu’il soit à la fois un itinéraire au bord de l’immensité du fleuve et un chemin intérieur que je défriche, un état de présence et de disponibilité à ce qui peut advenir, un rythme lent et vivifiant, un souffle dans mon corps en mouvement, une ouverture à être tout simplement. Ce voyage, une métaphore de la vie certes mais également son début, son prolongement.

Demain matin, nous reprendrons la route. Nous irons à la rencontre de nos rêves. Nous continuerons à labourer la terre qui nous habite et à en goûter les fruits. Mais aussi, nous trébucherons, nous manquerons des occasions de rendez-vous, nous ne serons pas à la hauteur de toutes nos espérances, nous aurons peur et froid, nous n’oserons pas faire le pas de côté qui nous permettrait d’imaginer davantage et autrement… Nous ne serons aventuriers que dans les chemins les plus avenants, nous ne serons explorateurs que de nous-mêmes et de la vie. Toutefois, nous serons en mouvement au rythme de notre vélo, dans un état le plus ouvert possible, en suivant le chemin esquissé sous nos roues. Peut-être même qu’en fait, nous serons le voyage.

Voici quelques photos de notre périple jusqu’à maintenant: