Les chemins de la vie foisonnent en moi. Ils appartiennent à la fois au passé et à l’avenir. Dans le miroir, je crois voir le présent et pourtant, voilà encore un paysage déjà construit, un visage mille fois représenté, mille fois reconnu. Mais qu’y a-t-il à reconnaître dans ces traits figés de lassitude, dans ce sourire imperceptible? Le chemin parcouru, je ne le reconnais pas. Sans cesse, je réinvente son itinéraire, classant mes souvenirs, emprisonnant des fragments d’espoir et de lucidité. Je me retourne pour prendre mon élan: je m’épivarde sur place. Non, sur ma route, dans la forêt comme en ville, je n’ai rencontré personne. Pas même moi. Mais en avais-je seulement l’intention?
Les chemins de la vie foisonnent en moi. Velléitaire, plus souvent, je recule. Et quand j’ose aller de l’avant, il me faut un grand saut dans le vide, l’espérance de me mettre à voler, légère, toute légère. Sur les cailloux, je trébuche plus souvent qu’à mon tour. Et même quand le soleil est doux et la route lisse, il m’arrive, comme une bourrasque intempestive, de me pétrifier. Et les rayons du soleil auront beau couler sur moi, mes nerfs se tendent, ce n’est plus mon ossature qui me soutient mais un gibet de fer, sous l’épiderme, qui épouse ma silhouette et m’empêche de m’effondrer. J’entends pourtant des sources de vie gronder en moi, autour de moi. Mes lèvres sont sèches, mon coeur rêche et ma volonté s’apitoie sur elle-même. Je ne me penche pas sur l’eau pour me rafraîchir mais pour y mêler mon désespoir. Mais mon chagrin et mes peurs ne se noient pas pour autant. Ils s’accrochent à mes pas comme autant de nuages encrassés de fausses images, de fausses piétés.
Les chemins de la vie foisonnent en moi. Comment pourrait-il en être autrement? Parfois, l’enfant rieuse et entière que j’ai été me prend dans ses bras pour quelques pas. Le chemin ondule, mon corps est bercé par l’horizon qui se défile. Puis elle me dépose et disparaît. Moi, je poursuis ma route, habitée par son souffle parfumé et par ses envies à l’eau de rose. À ces moments-là, il me reste à accueillir ma vieillesse en devenir, à puiser dans sa sagesse, un mot ou deux d’encouragement. Ne pas avoir peur de la suite, laisser glisser mes pieds nus et continuer à avancer et à me perdre sur mes chemins. Surtout me perdre.
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