rouler dans les ornières…

… ou tracer son propre chemin.

Pour la grande majorité de notre périple, nous avions décidé d’emprunter une route cyclable longeant fleuves et canaux et traversant une dizaine de pays européens. Quelqu’un, quelque part, en avait tracé l’itinéraire, rêvant d’une voie cyclable reliant l’Atlantique à la mer Noire, imaginant une Europe grandiose réunie par ce fil ténu. Nous allions rouler sur les traces laissées par des milliers d’autres cyclistes. Une première pour nous qui avons l’habitude de planifier nous-mêmes notre itinéraire en sélectionnant les petites routes et les endroits que nous traverserons. Pendant des semaines, nous avons pédalé en suivant les indications sur les cartes ou sur les panneaux routiers, faisant fi des détours et des voies peu adaptées au voyage à vélo, sur cette route imaginée par des instances politiques ne connaissant rien à l’art de se déplacer à bicyclette. Empruntant, ou croyant emprunter, le même chemin que tous les autres. Et puis, à force de rouler sur des sentes caillouteuses ou sablonneuses, sur des digues herbeuses, sur des routes cabossées, achalandées, sans accotement et avec des ornières profondes façonnées par le passage des camions, à force de faire des détours, de déboucher sur des culs-de-sac ou des escaliers et de s’égarer en cherchant des indications qui n’existent pas, nous avons commencé à prendre nos distances avec cette eurovélo 6 qui ne nous convenait pas, à rouler sur d’autres petites routes. Nous reprenons le contrôle sur notre chemin, nous modifions notre trajectoire. Mais cela ne s’avère pas toujours possible, notamment en raison du relief. Tout récemment, en 2 jours, nous avons dû emprunter 20 tunnels, non éclairés, allant de 60 m à 371 m. Consciente du danger, prise de frayeur à l’idée de glisser, de tomber, de croiser un autre véhicule ou d’être percutés par derrière, je sentais le sol se dérober sous moi. Mais Étienne était là, pour nous deux; il nous encourageait. Le temps était gris, pluvieux. Toutefois, après le dernier tunnel et une longue montée, le soleil est revenu. Il nous a souri; nous étions soulagés et plus légers. Lors d’une de ces mêmes journées, la route balisée nous faisait emprunter un sentier rocailleux interrompu en 2 endroits par un ruisseau. Seulement, toute la nuit précédente il y avait eu des orages et le ruisseau était gonflé, l’eau m’arrivait à mi-cuisse et le courant était trop fort. Après avoir tenté de transporter une sacoche de l’autre côté, nous avons rebroussé chemin. Métaphores de notre périple ? Entre voies interrompues, détours, perte des repères, passages à vide, notre route a croisé celle d’autres cyclistes. Des rencontres qui nous ont nourris, qui nous ont donné une petite poussée pour poursuivre et tracer notre propre chemin. Tout au long de cette aventure, nous nous sommes aussi rencontrés : fragiles et forts à la fois, déboussolés et confiants, légers et tendus. La plupart du temps complémentaires et en synchronicité. Notre trajectoire nous porte maintenant ailleurs. Sur une autre orbite.